Ce matin en me levant, je fais ma revue de presse comme –
presque – toujours, un peu via Facebook, je m’en confesse. J’ai eu mes
retrouvailles de 25 ans après ma graduation de la polyvalente cette fin de
semaine. Le mélange des nouvelles et de mes discussions de la fin de semaine
m’ont donné le goût d’écrire aujourd’hui.
Comme vous avez sans doute pu le déduire, j’ai 42 ans. Je
suis ingénieur, j’ai mon entreprise, je suis père de famille et j’ai eu
l’occasion de travailler à l’étranger à quelques reprises. Disons seulement que
je ne suis pas l’archétype d’un gauchiste-hippie-
va-donc-te-faire-couper-les-cheveux-le-pouilleux-les-BS-s’y-veulent-de-l’argent-qu’y-fassent-comme-moué-pis-qu’y-travaillent-crisse
(pour paraphraser Elvis Gratton). Malgré tout ça, j’ai envie de parler de ce
qui se passe en ce moment, et de ce que ça me fait vivre.
À mon âge, je fais
partie de la génération X. Pas LES X mais la génération X. Pour ceux qui
l’ignorent, le X signifiait à l’époque une génération sans nom, qui serait oubliée,
que la société a abandonnée à eux même, ce qui n’est pas une première dans l’histoire.
Je dis généralement que nous avons été élevés comme des baby-boomers mais qu’au
moment de nos études ou de notre arrivée sur le marché du travail, ce beau rêve
s’est effondré. Finies les jobs au gouvernement avec un bac. en histoire ou en
socio, fini la grosse job de col bleu avec un secondaire 2 en poche. Que nous
est-il donc arrivé par la suite ? Un épouvantable traumatisme collectif qui
nous a fait nous cacher dans notre coin, sans plus vouloir en sortir. Chez ceux
qui sont moins diplômés, ça a créé ceux qu’on appelle les WAYM (White Angry
Young Men) qui carburent à la démagogie du type ADQ-CAQ et la base du fidèle
public de la radio parlée de Québec.
Mon ami Tuan me faisait remarquer que lorsque nous étions
aux études, nous aussi les frais de scolarité ont augmenté considérablement (je
crois qu’il a plutôt parlé de quadrupler). C’est sans compter les passes que
nous nous sommes fait faire par le régime de prêts et bourses. Qu’avons-nous
fait ? Rien, bien sûr. Nous sommes restés sur notre jambon, à subir, notre
traumatisme collectif nous rendant allergiques à la mobilisation et au
militantisme… et qu’arrive-t-il quand on ne fait rien en démocratie ? Eh ben on
finit par se faire fourrer, et c’est ce qui nous est arrivé.
Mais parlons un peu des prêts et bourses et de la grave
iniquité qu’ils créent. Aujourd’hui, environ 90% de la population est urbaine.
Le premier, j’habite aujourd’hui Montréal. Je pourrais habiter Québec ou
Sherbrooke comme beaucoup de mes vieux potes de la polyvalente que ce serait
pareil. Mais je viens de la campagne. Non, pas de Québec, d’une petite ville ni
d’un village. Je viens d’un rang. Mon père avait une terre et l’argent ne lui
sortait pas par les oreilles. Pour étudier, j’ai donc du m’exiler, comme tant
d’autres.
La plupart de mes anciens potes de la polyvalente ont eu
recours comme moi au régime des prêts et bourses. En clair, ça signifie qu’à la
fin de nos études nous avions des dettes d’entre 15 et 25 000 $. C’est peu me
direz vous, comparé aux 40-50 000 $ d’aujourd’hui ? Effectivement, mais
souvenez vous que nous payions environ 9 % d’intérêt à l’époque et, comme je
l’ai mentionné plus tôt, le marché de l’emploi s’est fermé devant nous. Ainsi,
bon nombre d’entre nous nous sommes retrouvés avec des paiements de 4-500 $ par
mois, en gagnant 20 000 $ par an en travaillant à des jobines. Assez ordinaire
comme début de la vie adulte. Sentiment d’injustice, traumatisme
intergénérationnel renforcé. Pour en remettre, c’est aussi à cette époque que
nous avons vu l’apparition des clauses « orphelin » dans les
conventions collectives et je pourrais continuer longtemps comme ça.
Mais surtout, j’ai connu des gens qui viennent par exemple
de Longueuil et qui ont fait leurs études à Montréal, en habitant chez leurs
parents. Ils n’avaient pas ce boulet, eux, en entrant sur le marché du travail.
Généralement aussi, ils se sont « établis » beaucoup plus rapidement.
À mon avis, ce boulet des prêts est la pire chose qu’on peut faire à quelqu’un
qui commence dans la vie.
Alors quand j’entends des propositions comme la fameuse
histoire du remboursement proportionnel aux revenus bla bla bla, ça me glace un
peu le sang tout ça. Pour moi, le meilleur remboursement des services reçus par
l’état s’appelle l’impôt sur le revenu. Point. Croyez-moi j’en ai payé
beaucoup, j’en paye beaucoup et j’ai encore l’intention d’en payer beaucoup de
l’impôt. Vous savez quoi ? ça me fait plaisir d’en payer. Pourquoi ? parce que
c’est ça le deal au Québec, on s’entraide, on a des services et on paye tous
pour selon notre capacité.
Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Comme vous je
vois l’actualité. Beaucoup de gens de ma génération, de leur petit confort
chèrement acquis regardent ce qui se passe et ont succombé à l’argumentaire du
Journal de Montréal et autres et je me dis : « Non ». Les gens
dans la rue ne font que ce que nous n’avons pas eu le courage de faire. Quelque
chose qui aurait du être fait depuis longtemps, se battre pour rendre les
études supérieures à tous, peu importe leur origine, c’est ça – me faisait
remarque mon ami Patrick –le deal au Québec aussi depuis 50 ans.
Le Québec est endetté ? Nous sommes en déficit ? Pourquoi
avez-vous autant baissé les impôts alors ? Pour être bien certains que la
génération qui me précède n’aura jamais payé pleinement pour les services
qu’elle a reçu – souvenez-vous des années où les déficits était permanents – et
qu’ils continueront à recevoir des services de l’état pendant encore plusieurs
années, sur le dos des plus jeunes, et s’assurent que la caisse sera bien vide
après eux.
Je vois les jeunes dans la rue et je leur dis « Bravo
! » battez-vous pour un monde meilleur, nous, on ne l’a pas fait. Nous
devons cesser cette politique de la tarification des service de l’état qui est
ni plus, ni moins, qu’une « Flat Tax » déguisée pendant qu’on baisse
les impôts. L’impôt sur le revenu est et devrait continuer d’être la principale
mesure de financement des services publics, qui eux devraient être universels.
Depuis trop longtemps cette démarche d’anti-Robin-des-Bois est en marche. La
« juste part » de Raymond Bachand devrait plutôt s’appeler
l’ « injuste part ». La juste part, c’est quand les services de
l’état sont vraiment universels et financés par un impôt progressif.
Continuez de vous battre, les casseroles viendront à bout du
régime. En tous cas, je l’espère, j’en rêve.
L'ingénieur,
Yanick Vaillancourt